AccueilHotLes chroniques de Krow #1 : Nekfeu - Cyborg.

Les chroniques de Krow #1 : Nekfeu – Cyborg.

À vrai dire, cela fait longtemps que j’envisage l’écriture de cette nouvelle série d’article, c’est peut être pour moi ce qu’il y a de plus jouissif dans le journalisme musical : la chronique d’album, parler de musique, enfin.
Vous m’avez peut être déjà lu auparavant lorsque je décrivais des punchlines ici même, je suis Krow. Je suis rappeur et journaliste. Et c’est autant de mon point de vue d’artiste que de mon point de vue d’auditeur que je vais aborder avec vous les différents albums critiqués dans les Chroniques de Krow.
Assez parlé de moi. C’est Nekfeu qui a réveillé l’idée de ces chroniques. En effet, cela fait bien longtemps que le rap ne m’avait plus autant fait vibrer ! Depuis quelques années je suis convaincu que nous assistons à un nouvel âge d’Or. Et la qualité musicale entraîne avec elle l’ébullition du game : Black albums, albums surprises, albums gratuits, artistes ultra-productifs, comme autant de symptômes d’un rap qui va bien.
Et Nekfeu est l’illustration parfaite de cette époque riche comme jamais…
Quelques jours après l’annonce du « Black Album » prévu par l’ancien label de l’artiste (Y&W) afin d’exploiter les anciens titres que Feu avait à l’époque enregistrés pour eux, j’apprenais par un confrère que le rappeur du 75 préparait un vrai album, une surprise dont on ne connaîtrait pas la date.
Et hier soir, la nouvelle tombait, il était partout ! La pochette recouvrait chaque post de mes réseaux sociaux. Une heure plus tard, « Cyborg » était dans mon téléphone…
Musique maestro.
Ayant lu la tracklist et constaté que le choix des featurings était restreint dans sa majorité à des artistes dont on sait déjà qu’ils s’intègrent et complètent à merveille l’univers du fennek, je m’attendais à un album d’une grande cohérence musicale, si j’avais su…
Dans le noir, allongé, les yeux fermés, mon casque de studio sur la tête je pressais le bouton play, je m’apprêtais à encaisser le morceau « Humanoïde« …
Toutes mes attentes se sont misent en pause, mon cerveau s’est mis en pause : MERDE ! Mais qu’est-ce que je suis en train d’écouter, moi qui attendait un très bon album, je commençais par prendre dans la gueule un titre sublime, digne des plus grands. Je venais de plonger tête la première, pieds et poings liés dans l’univers de Nekfeu, dans la vie de Ken Samaras
« C’est pour les cyborgs défectueux les elephant man… »
L’écoute de cet album est une expérience très personnelle, encore bien plus que celle de l’écoute du premier album « Feu« , un tournant qu’on avait déjà aperçu dans la réédition de ce dernier avec des titres tels que « Plume » , « 7:77 » ou même avant, avec « Rêve d’avoir de Rêves« .
À mon sens, ce qui a permis à Nekfeu d’exploser sur la scène national c’est la réflexion qu’il a su avoir sur sa direction artistique et la qualité de ses instrumentales, quelques mois avant son premier album personne ne l’aurait attendu sur des prods tels que celles de l’énorme hit « Ma Dope » Feat. S.pri Noir ou même d' »Égérie« . Et cette fois-ci il n’a pas seulement su augmenter la qualité de ses instrumentales mais également les organiser en un ensemble cohérent afin de créer une œuvre inimitable, orchestrale. Là où chaque morceau de « Feu » frappait et était aussi fort hors de son contexte, les morceaux de « Cyborg » prennent leur pleine valeur au coeur de l’album, comme des diamants dans leur écrin.
Cet album « Cyborg » aurait pu être un long morceau, un morceau d’une heure et demi au cours duquel on ne s’ennuie jamais.
Mais n’allez pas pour autant imaginer que l’artiste a mis tous ses œufs dans le même panier, au contraire il a puisé dans toutes les inspirations qui font sa très large identité musicale. Le génie réside dans le liant qu’il a réussi à injecter dans cette tracklist pour le moins complète.
Et c’est alors que je me rendais compte que mes attentes allaient être comblées en ce qui concerne la cohérence et la variété musicale de cet opus que l’exemple parfait arriva…
« O.D. » Feat. Murkage Dave : Une ligne de basse profonde et funky raisonna dans mes oreilles, puis l’hypnotique voix de Nekfeu : « O.D., O.D., O.D…. » et, coup de grâce, la lead entre, claire, aérienne, accompagnée de jouissives percussions de salsa à la Hotline Bling (qui seront sublimées par la mélodie de Feu versée dans son flow le plus entêtant)… J’étais emporté…
Mais alors que la voix de Murkage Dave s’éteignait après le dernier refrain surgit ce saxophone…
Un solo (à attribuer au génie Archie Shepp) qui m’accompagnera jusqu’au morceau suivant « Vinyle » en featuring avec le toujours aussi brillant Alpha Wann. Le saxophone se mue en un sample de voix de chorale pitchées qui elles-mêmes se muent en notes de saxophone… Et d’un morceau salsa/soul (« O.D.« ) j’avais été transporté sans même m’en apercevoir dans un kickage Old school génialement bruyant. Puis « Vinyle » s’est éteint comme il avait commencé, dans un solo de saxophone accompagné de piano, comme pour apaiser l’incendie…
« Laisse tourner ! »
Mais c’est ici que j’entrevis un défaut. Y aurait il un morceau dans cet album que je pourrais écouter en toutes circonstances ? Un « Turn Up song » : ce son qui débarque dans ton mode aléatoire et qui fait la diff’ rien qu’avec son énergie, son aura.
J’avais rencontré ce problème avec le tout aussi excellent 2ème album de Kendrick Lamar « To Pimp A Butterfly« , j’ai adoré écouter et réécouter l’album mais à de rares exceptions il m’était très difficile de détacher un morceau qui puisse être consommé immédiatement et ressenti avec puissance hors de son contexte. À tel point qu’à l’heure actuelle j’écoute plus souvent les morceaux du premier opus « Good kid, M.A.A.D City« .
Et là, Boum. « Saturne » Feat. Sneazzy et S.Pri Noir.
Sneazzy est à son niveau actuel, c’est à dire complètement ON FIRE (Dieu bénisse SuperSound). Nekfeu est très très énervé et S.Pri Noir lâche l’un des excellents couplets de sa belle carrière. Inutile d’en dire plus, écoutez seulement.
« Hugz, t’es en motherfucking fuego sur celle là. »
Sur cette nouvelle claque je glissais doucement vers la fin de l’album accompagné par un interlude sur fond d’ambiance urbaine, comme si j’étais assis à côté de Nekfeu dans un aéropott alors même qu’il élaborait l’ébauche d’un futur texte. C’est une des trouvailles de l’album, Feu est capable d’intégrer dans le produit fini son propre processus de création, ce qui façonne une proximité sans faille entre l’auditeur et lui. Déjà entrevue au tout début de l’album dans « Humanoïde » quand il présente la structure rythmique et mélodique de son pont avant d’y apposer les paroles seulement un couplet plus tard, j’ai adoré cette idée.
La suite et fin de l’album est plus décousue, comme si cette plongée dans le crâne de l’artiste s’achevait aux frontières de son inconscient, là où les idées se font moins précises mais plus vastes, là où les choix sont plus flous mais infinis…
Mais je ne peux pas vous parler de chaque morceau, j’ai éludé le fascinant « Avant tu riais » Feat. Clara Luciani sur lequel vous vous ferez votre avis. Je n’ai pas non plus parlé de la prestation de Népal dans « Esquimaux » ou du violent et underground hymne « Squa« , ni du torturé et amoureux « Galatée« . J’ai passé sous silence l’excellent refrain de Nemir dans un « Le regard des gens » que j’aime moins, volontairement oublié la chute glaciale de « Programmé » ainsi que le couplet d’anthologie de Jazzy Bazz sur le faussement nonchalant « Besoin de sens« .
Mais après les dernières notes de Nekketsu j’ai rouvert les yeux, je venais de passer plus d’une heure en apnée, en quasi-coma, bercé par les songes d’un autre.
Alors vint l’heure du bilan : Techniquement, c’est un masterpiece. Nekfeu est à l’apogée des talents qu’il a su développer tout au long de sa carrière. Ses qualités d’écriture et de débit/intonation se complètent et s’expriment à merveille. Les envolées lyriques de « Réalité Augmentée » tiennent du génie et en sont la preuve. Dans le dernier couplet, entre « Chacun son rôle… » et « …mort au rat » le rappeur se lance dans une succession d’homéotéleutes (Google est ton ami) améliorées, d’assonances et d’allitération à couper le souffle. Il enchaîne ensuite avec une métaphore filée sur le thème des emojis au cours de laquelle chacune des images s’impriment dans nos crânes, une sensation d’habitude réservée à l’écoute de rappeur aux flows plus lents, à l’écriture plus directe et imagée (Booba, Damso…).
Musicalement, comparé au précédent cet album fait preuve d’une plus grande richesse et d’une plus grande variété instrumentale, acoustique et électronique. De plus il est rempli de ressources, d’idées qui font de lui un objet unique, à l’identité propre. Plus que de la musique, il rend la vie réelle musicale, les bruits de la ville, les dialogues… Tout s’intègre et complète l’œuvre.
Qu’en est-il de ses défauts ? Ils existent, mais j’ai du les chercher. C’est la preuve qu’ils font partie intégrante du projet, il est alors difficile de parler de défauts, on parlera de partis pris. J’ai déjà parler d’une fin d’album que j’ai trouvé plus décousue mais cela m’a surtout permis d’entrevoir ce qu’il y a de plus instinctif dans cet univers. J’ai parlé d’un titre que j’aime moins (Le Regard des gens) en Featuring avec Nemir, 2zer, M.Ekra et Doum’s, mais qu’est-ce qu’un album de Nekfeu sans eux ?
Sans être un expert le mastering m’a parfois un tout petit peu dérangé à la première écoute également.
Alors que dire au final, c’est définitivement un coup de coeur, sans équivoque. J’ai adoré cet album et j’en fais l’un des meilleurs d’une année 2016 qui restera gravée dans l’histoire du rap. J’y ai trouvé ce pour quoi j’écoute du rap, j’y ai retrouvé l’essence de ce qui me fait aimer la musique, alors même que je ne suis pas un fan « naturel » de Nekfeu, moi qui préfère les sons chargés en basses et les flows plus lents. Force est de constater que le feu sacré est encore là, tout au fond de moi, cette nuit réveillé par le Feu, sacré meilleure surprise de l’année.
J’ai écouté cet album sur mon Iphone, dans mon casque Prodipe 880. Quant à mon avis il n’appartient qu’à moi et je vous encourage à le commenter et à me contredire, ou me conforter.
Paix.

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